Aujourd’hui, les entreprises ont accès à une expertise et à des moyens de haut niveau pour soutenir le développement de leurs employés. Fortes de ceux-ci, elles proposent des ressources, nombreuses et diversifiées, pour permettre le développement des compétences nécessaires à la réalisation des tâches quotidiennes. Or, nombre d’études montrent que l’accès aux ressources ne suffit pas pour permettre à un individu d’être autonome et que l’environnement de travail a de nettes influences dans le développement des compétences et leur transfert en milieu professionnel (Blume et al., 2020; Fernagu-Oudet, 2014; Schoeb, Courcy et Lauzier, 2016). 

La question que nous nous sommes alors posée est la suivante : comment les environnements de travail soutiennent-ils, ou peuvent-ils soutenir, le développement réel et effectif des compétences en situation de travail?

C’est en vue de répondre à cette question et d’être en mesure de mieux accompagner les organisations à analyser les environnements de travail de leurs employés, afin d’en faire des milieux qui facilitent la mise en capacité d’agir, que la mise en place d’un diagnostic sur les environnements capacitants nous semble intéressant.

Les environnements capacitants sont des environnements de travail qui rendent les employés capables de développer de nouveaux savoir-faire et de nouvelles connaissances, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leurs tâches et sur la façon dont ils la réalisent, c’est-à-dire leur autonomie (Falzon, 2005). Bref, des environnements qui permettent aux employés de mettre en œuvre leurs capacités.

Le diagnostic sur les environnements capacitants s’intéresserait à trois grandes dimensions des milieux de travail : les ressources, les facteurs de conversion des ressources et les facteurs de choix.

Prenons un instant pour les définir en quelques mots.

Les ressources
Les ressources sont les moyens mis à disposition des employés dans leur milieu de travail pour leur permettre d’agir. Elles peuvent être internes (ex : expériences passées, compétences, motivation) ou externes (ex : collègues, procédures, gestionnaire, équipement, formations, site internet, etc.).

Les facteurs de conversion
Les facteurs de conversions viennent faciliter ou contraindre l’usage de la ressource lorsque vient le temps pour l’employé de prendre une décision ou d’agir. Voici quelques exemples de facteurs.

  • Les caractéristiques de la ressource : pour ne citer qu’elles, nous faisons référence ici à la pertinence, l’attractivité, l’accessibilité, l’utilité de la ressource, etc. Sans nul doute, celles-ci vont influencer l’usage de la ressource.
  • Les situations de travail : nous parlons ici des opportunités d’agir, intimement liées à l’exercice du leadership et aux pratiques de gestion. Par exemple, si l’employé n’a pas la possibilité de développer ou d’appliquer rapidement de nouvelles idées ou façons de faire après une formation ou toute autre situation d’apprentissage, nous pouvons vite en venir à la conclusion que l’environnement de proximité ne met pas en capacité d’agir et limite la montée en compétence.
  • Le contexte organisationnel : nous traitons ici de la culture organisationnelle (croyances, valeurs, attitudes, attentes) et au cadre organisationnel (réglementation, processus, politiques). Par exemple, le fait de prendre du temps pour créer de nouveaux produits est-il encouragé, ou l’employé doit-il le faire en-dehors des heures régulières de travail? Le climat est-il suffisamment bienveillant pour que l’employé ose partager ses difficultés et utiliser ses collègues comme ressources?

 

Les facteurs de choix
À travers les facteurs de choix, nous nous intéressons à comprendre ce qui a motivé le passage à l’action et le choix de telle ou telle ressource OU ce qui a motivé la non-action. Est-ce plutôt d’ordre personnel (sentiment personnel d’efficacité, valeurs individuelles, affinités, niveau de confiance, etc.) ou organisationnel (valeurs organisationnelles, procédures, etc.)?

Le diagnostic environnement capacitant chercherait à mettre en évidence des tendances qui permettraient de favoriser le passage à l’action et le choix de ressources spécifiques, mais aussi d’encourager la liberté de choix d’agir ou non, dans une situation donnée, avec ou sans l’usage de certaines ressources. En effet, comment l’employé peut-il agir de manière compétente s’il n’a pas la liberté d’agir, comme il l’entend, pour le faire?

L’idée n’est évidemment pas de renoncer à toute forme de procédures, règlementations ou normes de qualité, mais d’oser se remettre en question, comme équipe et comme organisation: à quel point élevons-nous nous-mêmes les barrières qui encarcannent nos esprits, limitent nos potentiels et tuent nos possibles?

Autre et dernière mention importante : le diagnostic se réaliserait à l’envergure d’une équipe de travail.

En effet, par ce diagnostic nous faisons l’étude des situations de travail facilitant, ou non, le pouvoir d’agir et ainsi le développement des compétences. Chaque équipe est différente par ses pratiques de travail, sa gestion, son climat… Travailler auprès de l’environnement de proximité garantit des évolutions certainement plus rapides en la matière. Plusieurs diagnostics auprès d’équipes différentes permettraient ensuite de faire ressortir des tendances à l’échelle de l’organisation concernant le pouvoir d’agir et les possibilités effectives de développement des compétences.

En résumé, s’intéresser au caractère capacitant des environnements de travail, c’est adopter une approche de l’apprentissage centrée sur la responsabilisation des milieux de travail dans le développement des compétences, en plus de celle des employés eux-mêmes. C’est oser poser les questions qui sauront mettre en lumière les freins et les leviers à la création de milieux professionnels plus apprenants et mieux équipés pour utiliser l’intelligence collective afin de faire face aux défis systémiques et complexes de notre époque.

Oserez-vous?

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Références
Arnoud, J. & Falzon P. (2013). Changement organisationnel et reconception de l’organisation : des ressources aux capabilités. Activités, 10(2), pp 109-130.

Blume, B., Ford, J., Baldwin, T., & Huang, J. (2010). Transfer of training: a meta-analytic review. Journal of Management, 36(4), 1065–1105.
Fernagu-Oudet, S. (2014). Organisation et apprentissage : pour une éthique du pouvoir agir, pp
1-17. Dans Beauvais, M. & Haudiquet, A. (2014). Éthique et ingénierie de la formation.
L’Harmattan.

Fernagu-Oudet S. (2013). Organisation et apprentissages : construire des environnements
capacitants. L’AREF, 209(4), pp 1-12.

Schoeb, G., Lauzier, M., & Courcy, F. (2016). Soutien du supérieur immédiat comme levier au transfert des apprentissages : vers un portrait méta-analytique de ses effets directs et indirects. Dans Lauzier, M. et Denys, D. (dir.). Accroitre le transfert des apprentissages : Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences (pp. 225-262). Presses de l’Université du Québec.